Accessibilité numérique et obligation de mise en conformité : pourquoi les organismes concernés tardent-ils ?

Le 23 septembre 2020 marquait la fin du délai, autorisé par le décret de juillet 2019, pour la mise en conformité avec le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité. Pourtant, cette obligation est encore loin d’être prise en compte par les acteurs concernés. Pour quelles raisons ? Empreinte Digitale fait le point et tente de répondre à cette question.

23 septembre 2020 : fin du délai de grâce

Le 25 juillet 2019, le décret d’application de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (modifiée successivement fin 2016 et fin 2018) entrait en vigueur.

L’article 47 de cette loi imposait déjà aux administrations (services de l’État, collectivités…) de rendre accessible tout type d’information sous forme numérique, quel que soit le moyen d’accès. Sont alors concernés les sites internets, les intranets et extranets, mais aussi les applications mobiles et les progiciels.

En juillet 2019, le décret d’application de la loi élargit cette obligation aux sociétés privées générant 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en France, mais aussi aux entités bénéficiant de subventions de l’État ou contrôlées par une personne morale de droit public.

Rappel des obligations et dates clés

En plus de l’obligation de mise en accessibilité, les organismes concernés sont tenus d’afficher leur respect des normes d’accessibilité numérique. Ils doivent ainsi, pour chaque service numérique mis en ligne :

À compter du 23 septembre 2020, tous les sites créés sont concernés par l’obligation de mise en accessibilité et notamment les nouvelles normes d’affichage. Une seule exception demeure, jusqu’en 2021, pour les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique.

En début de semaine, l’État a annoncé que l’accessibilité numérique faisait partie intégrante du plan France Relance. Le gouvernement souhaite ainsi favoriser la mise en accessibilité des sites et services les plus utilisés pour les démarches administratives.

Au niveau européen, d’ici 2025,  une nouvelle directive (2019/882) étendra l’application de l’accessibilité numérique à d’autres secteurs, comme les services de médias audiovisuels, le transport aérien et ferroviaire, mais aussi le secteur bancaire et le e-commerce. Les États membres devront transposer cette règle avant le 28 juin 2022 et son entrée en application, en juin 2025.

Avec un volet juridique clarifiant obligations et sanctions, l’accessibilité n’est plus une affaire de choix. Pourtant, les acteurs concernés tardent à s’emparer du sujet. 

Chez Empreinte Digitale, nous commençons à sentir un frémissement dans les sollicitations que nous recevons, concernant des demandes d’audits ou de formations. Cependant, ces obligations d’affichage sont connues depuis 2016 (dans l’article 106 de la loi pour une république numérique), alors pourquoi les organismes concernés tardent-ils ?

Accessibilité numérique : pourquoi tant de retard ?

© Empreinte Digitale

Le retard quant à l’accessibilité numérique est un fait : déjà en 2014, une enquête de Braillenet révélait que seulement 4 % des sites publics étaient en règle. En 2020, le constat est toujours le même : l’accessibilité est encore loin d’être au cœur des projets web.

Comment expliquer que les entreprises ne s’emparent pas de ce sujet sociétal majeur ? Il est impossible de donner une réponse, cependant, nous pouvons émettre quelques hypothèses.

Des sanctions et des processus aux contours vagues

Le décret d’application reste très vague sur les sanctions applicables en cas de manquement au respect des normes : il mentionne seulement que la sanction est prononcée par le ministre chargé des personnes handicapées. Quel service se charge de faire respecter la loi, de prélever les 20 000 € d’amende, et où va cet argent ? Une commission dédiée va-t-elle être créée ? Les modalités de sanctions restent très vagues.

En outre, le décret souligne l’existence d’un téléservice pour faciliter la publication des déclarations d’accessibilité. Pourtant, cet outil n’existe toujours pas.

Avec autant d’imprécisions concernant les sanctions et les démarches, difficile de s’appuyer sur ce décret d’application pour changer les mentalités. 

Une méconnaissance du sujet et un manque de formation

© Pixabay

L’accessibilité numérique reste un sujet méconnu, par les professionnels du numérique et par les entreprises en général. Selon le dernier rapport du Conseil National du Numérique (CNNUM), 49 % des personnes interrogées déclarent peu connaître le cadre légal concernant l’accessibilité numérique, et 34 % ne pas en avoir connaissance.

Cette méconnaissance vient aussi d’une carence en termes de formation. Les écoles d’informatique sont encore trop peu nombreuses à intégrer l’accessibilité numérique dans leurs cursus.

Une réalité confirmée par le CNNUM : 43 % des développeurs affirment ne pas connaître les obligations légales relatives à l’accessibilité. Autre chiffre édifiant, seules 5 % des personnes interrogées considèrent que les formations continues prennent suffisamment en compte l’accessibilité numérique dans leurs enseignements.

Pour Christophe Rouvrais, Directeur Général de l’ESAIP, école d’ingénieurs en informatique dans laquelle nous intervenons, c’est une question de sensibilité : S’il n’y a pas de sensibilité des équipes pédagogiques, ni de contraintes fortes de la part des organismes d’accréditation sur le sujet, les écoles font ce qu’elles veulent : si ce n’est pas une priorité, ce n’est pas fait. À l’ESAIP, nous y sommes sensibles et nous le faisons naturellement, car nous avons des étudiants déficients visuel qui suivent nos cursus.

Un constat partagé par Johan Marchesseau, Directeur de MyDigitalSchool : Cela ne fait pas partie des programmes car c’est un sujet relativement récent pour les pédagogues. Les maquettes des écoles sont faites depuis des années et si les équipes pédagogiques ne sont pas sensibilisées, cela reste une question de choix. Chez MyDigitalSchool, nous prévoyons un pourcentage de temps pour adapter nos programmes au marché du travail. Nous avons choisi d’intégrer l’accessibilité numérique, par sensibilité personnelle mais surtout car c’est primordial.

De son côté, le Directeur de l’ESAIP souligne aussi un manque de culture dans les écoles d’ingénieurs : Ce n’est tout simplement pas dans la culture des écoles. Pourtant, avec de la pratique, l’accessibilité peut être prise en compte de manière très simple et économique. Le problème est que ce n’est pas un réflexe ! C’est la même chose pour les entreprises, les cahiers des charges mentionnent rarement l’accessibilité.

Pour Christophe Rouvrais, le changement doit passer par un ajout systématique de l’accessibilité dans les cursus d’études : Si l’on veut un vrai changement de culture, cela doit être obligatoire : l’objectif est que l’accessibilité soit intégrée dans les référentiels des écoles d’ingénieurs. Cela passe aussi par de la pédagogie par l’exemple, d’où ce message que nous portons auprès de de la Commission des Titres d’Ingénieurs (CTI) et de la Conférence des Directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs (CDEFI). Nous devons  injecter sur le marché du travail des professionnels sensibles à l’accessibilité numérique, pour que les projets soient développés de manière nativement accessible. Cela concerne aussi les développeurs, les graphistes, les ergonomes etc.

Un ajout systématique soutenu également par Johan Marchesseau : En devenant Coordinateur pédagogique national chez MyDigitalSchool, j’ai choisi d’impulser l’accessibilité numérique au niveau national dans toutes nos écoles. Maintenant, l’accessibilité n’est plus optionnelle : elle fait partie intégrante de nos maquettes de formation. Nous voulons que nos étudiants développeurs intègrent directement l’accessibilité dans leur code : si un site doit être responsive, il doit aussi être accessible. Le but est que l’accessibilité numérique ne soit plus un sujet et qu’elle soit ancrée comme un réflexe ! Cela doit faire partie de la panoplie du développeur et de l’apprentissage du code. C’est dans cet esprit que nos étudiants de première année sont formés dès leur première ligne de code. À  terme, il faut penser “accessibilité first” comme on pense “mobile first.”

Chez Empreinte Digitale, nous avons décidé d’agir, justement, en nous rendant directement dans les écoles pour former les étudiants développeurs à l’accessibilité numérique, comme le précise Simon Bonaventure, responsable de notre pôle dédié : Dans le cadre de notre démarche RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), nous avons fait le choix de pousser les portes des écoles d’informatique de notre territoire, pour sensibiliser et former à l’accessibilité numérique. Dans un premier temps, nous intervenons directement auprès des étudiants, et nous espérons, bientôt, former les enseignants pour que l’accessibilité soient nativement intégrées aux différents cursus !

Un travail au long cours, plus que nécessaire, pour former les professionnels du numérique de demain.

“L’accessibilité numérique, ça coûte cher”

Oui, comme les autres obligations légales (particulièrement en matière de sécurité ou de RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données)) et pourtant, les entreprises s’y plient. L’accessibilité ne doit pas être une exception, c’est un droit fondamental !

En outre, si l’accessibilité numérique “coûte cher”, c’est avant tout car elle n’est pas intégrée d’emblée dans toutes les phases des projets web. Corriger un site a posteriori sera effectivement plus onéreux, et peut fragiliser un projet dans sa globalité. D’où l’importance de former ses équipes, pour développer des sites et applications nativement accessibles et éviter des corrections qui ne sont qu’une solution palliative, comme le précise Christophe Rouvrais.

Comment se saisir du sujet

Pour les retardataires, il est plus que temps de se mettre en conformité ! Pour cela, une seule solution : faire auditer vos sites afin de dresser un état des lieux de leur niveau d’accessibilité. Grâce à cet audit, vous répondrez au moins à deux des obligations d’affichage, à savoir : le niveau de conformité, et la déclaration d’accessibilité.

Si vous réfléchissez à un nouveau projet web, pensez à vous faire accompagner et à choisir des prestataires compétents en développement nativement accessible. Enfin, formez-vous et formez vos équipes, sans oublier les nouveaux entrants ! L’accessibilité numérique est l’affaire de tous pour construire un numérique inclusif.